Le Droit Ouvrier

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Représentation et négociation collectives à la lumière des ordonnances Macron

par Laronze

La réforme opérée par les ordonnances Macron est l’aboutissement de l’extension du domaine de l’accord collectif par rapport à celui de la loi. Les modifications apportées au droit de la représentation du personnel et au droit de la négociation collective finalisent la dévolution d’un pouvoir aux acteurs de l’entreprise. Avec l’érosion de l’ordre public social et la réduction du champ du principe de faveur, les accords collectifs dérogatoires ont pu s’imposer dans des domaines où la loi ne pouvait faire l’objet que d’une négociation plus favorable. La notion même de dérogation, comme celle de faveur, s’étiolent face à l’émergence du concept de garanties équivalentes qui n’a pas encore dévoilé tous ses effets. L’accord collectif d’entreprise, selon sa nature, peut même se substituer aux stipulations contractuelles de même objet peu important que celles-ci soient plus favorables. L’accord collectif d’entreprise emporte donc avec lui l’application d’un régime qui bouleverse en profondeur les rapports entre les normes en droit du travail. Avec la volonté d’ordonner les rapports entre la branche et l’entreprise autour de blocs de compétence, c’est la négociation collective qui entame encore un peu plus le domaine de la loi.
Désormais, le droit du travail n’est plus le terrain d’élection du pouvoir étatique mais celui de l’entreprise et de l’autonomie normative des acteurs économiques et sociaux. Pour s’en convaincre, le dernier pilier de compétence privilégiée de la loi, l’ordre public absolu, est dépecé petit bout par petit bout au profit de compétences nouvellement reconnues à l’entreprise et à la branche. Ainsi, il est désormais possible d’adapter/modifier une partie des règles légales en matière de CDD. Attirera plus particulièrement notre attention la possibilité de prévoir des normes conventionnelles sur la représentation du personnel. Dès lors, l’articulation dont il est question dans ce dossier ne concerne plus les représentants du personnel et les syndicats (autrement envisagée à travers la combinaison de la consultation et de la négociation) mais la représentation et la négociation. La représentation du personnel n’est plus uniquement à l’origine de nouvelles formes de négociation mais est objet de négociation collective. Si le conseil d’entreprise et le représentant de proximité, dans le prolongement de la funeste IRIRP prévue par la loi Rebsamen, sont plus spécifiquement visés, le CSE peut également faire l’objet d’un accord de configuration dans l’entreprise à établissements multiples dont la finalité stratégique ne doit pas être sous-estimée. Par accord de méthode, les droits des représentants du personnel sont réorganisés. Si les syndicats sont associés directement à ce nouveau déploiement de la négociation collective la collectivité du personnel est sollicitée en vue de ratifier l’accord négocié voire même d’adopter le projet d’accord de l’employeur. Attribuant un rôle (autonome ?) à la collectivité du personnel, le législateur envisagerait-il la mise en place d’une démocratie directe ? Autrement dit, parallèlement à la démocratie représentative, l’expression directe de la collectivité du personnel peut-elle concurrencer les droits des représentants du personnel ? Ces questions en soulèvent de nouvelles, s’agissant du droit à l’information et à la consultation des salariés. Produisant des effets contre-intuitifs, la mise en place du récent CSE conduit à une restauration des prérogatives des organes de représentation centralisés au niveau de l’entreprise au détriment d’une représentation forte au niveau des établissements. La participation à la gestion des salariés donne également lieu à l’intervention des représentants du personnel qui se voient reconnaître des prérogatives spécifiques dans la société. Or, avec la création conventionnelle de nouveaux acteurs et la singulière distribution des rôles par le législateur, ne faut-il pas craindre une dilution des droits des salariés dans la société et dans l’entreprise ? Ou, au contraire, un recentrage des fonctions est-il en train de s’opérer au profit des représentants du personnel ?
Autant d’interrogations et d’incertitudes que ce dossier comprenant les actes du colloque du 18 décembre 2018 à l’Université de Strasbourg se propose de mettre en lumière et de tenter, à travers les contributions de spécialistes, de dissiper.
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