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Le juge privé de sentences ?
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Les ordonnances élaborées dans la hâte de l’été 2017 manifestent indéniablement une profonde défiance à l’égard du juge du travail. En attestent les nombreuses dispositions tendant, directement ou indirectement, à éviter aux employeurs d’avoir à se présenter devant lui ou, lorsque la confrontation est inévitable, à atténuer ses pouvoirs. Pourtant, elles ne sont pas les premières manifestations, loin s’en faut, de ce qui apparaît, au contraire, comme une tendance lourde. Dès le début des années 2000, la littérature patronale faisait déjà entendre la petite musique de l’imprévisibilité des décisions de justice et de l’insécurité qui en résulte, présentées comme particulièrement néfastes au développement harmonieux de la vie des affaires. Le rapport De Virville, notamment, était à cet égard emblématique (1).
Cette plainte discrète, mais insistante n’a guère tardé à être entendue par les pouvoirs publics puisque la dernière décennie nous a déjà gratifiés de plusieurs textes fortement marqués de cette empreinte. La rupture conventionnelle – qui relègue le rôle du juge au seul examen de la validité du consentement – a ouvert la voie en 2008, suivie de la loi dite « de sécurisation de l’emploi » (2), entérinant la volonté des signataires de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 d’organiser « l’évitement du juge » (3). Venait ensuite la loi « Travail » ou El Khomri (4), dont le terrain avait été minutieusement préparé par le rapport Combrexelle (5) et dont les promoteurs « ont indiqué vouloir tourner la page d’un droit du travail marqué par l’importance donnée aux contentieux et à la jurisprudence … au détriment de l’efficacité économique », de sorte que l’on passerait ainsi « d’une hétéronomie conflictuelle prenant appui sur le contentieux à une autonomie consensuelle à l’abri du regard du juge » (6).
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