Dans le bureau des ministres, la moquette sert parfois à étouffer les éclats de voix. Mais de cris sous les ors de la République, rien n’indique qu’il y en ait eu. Aucune dissension, aucune fausse note. Nul ne s’offusque, personne ne démissionne. La presse relaie mollement les protestations d’une clameur lointaine, qui monte, prévisible, de là où on l’attendait, et qui, pour l’heure, ne s’est pas diffusée. C’est vrai, la mesure n’a rien d’inopiné, elle faisait partie du programme du candidat devenu Président : la réparation du licenciement injustifié fait désormais l’objet d’un plafonnement. Elle a été consacrée et organisée par l’article 2 de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017. La langue juridique, technique et froide, ferait presque oublier l’évidence, celle de l’indécence d’une pareille disposition dans le contexte économique actuel.
Le chômage, au sens du BIT, touche environ 3 millions de personnes. Parmi ces chômeurs, 1,2 million déclarent rechercher un emploi depuis au moins un an (1). Ces chiffres offrent cependant une vision optimiste de l’emploi. Le halo autour du chômage enveloppe 1,5 million de personnes supplémentaires, selon les dernières données disponibles (2). Si l’on prend les catégories de Pôle Emploi, il faut compter 3,8 millions de chômeurs et près de 6 millions de personnes inscrites en catégorie A, B, C et D (3). Parmi les chômeurs des catégories A, B, C, le nombre de demandeurs d’emploi de longue durée (en recherche d’emploi depuis plus d’un an) s’élève à 2,5 millions (4). D’autres statistiques sont tout aussi alarmantes. Chez les personnes au chômage, les risques cardio-vasculaires cérébraux et d’infarctus sont fortement augmentés (80 %), tout comme ceux de cancer et de dépression (multipliée par 2 ou 3, en fonction du sexe), selon des données assez robustes (5). Les relations familiales sont également touchées : les probabilités de divorce augmentent, la réussite scolaire des enfants diminue (-12 points pour la réussite au baccalauréat) (6). Outre la baisse de revenus qu’elle emporte, la décision de licencier est ainsi susceptible de causer des « dommages considérables » (7). Pourtant, il a bien été décidé de plafonner l’indemnisation du licenciement injustifié, comme si sa conséquence la plus fréquente – l’entrée au chômage – était bénigne. Un pareil choix politique, si visiblement déraisonnable, ne saurait surgir et s’imposer d’un coup. Il bénéficie d’abord de précédents qui l’ont préparé.
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